Mes racines italiennes
AU NOM DES MIENS
Mes racines italiennes
Cuisiner c’est aimer… et avoir des racines
« …Se souvenir de son passé, le porter toujours avec soi, c'est peut-être la condition nécessaire pour conserver, comme on dit, l'intégrité de son moi. » Milan Kundera
Je ne peux pas arrêter de me souvenir de mes grands-parents, cela atténue le sentiment de n’avoir pas su ou de ne pas leur avoir assez dit que je les aimais.
« La mémoire n’a pas de source, elle a des racines. » Ardit Beqiri
Mes grands-parents maternels sont italiens : Giovani Rilievo est né le 13/10/1893 et Guglielma Pellizari le 06/12/1892. Tous deux sont nés et se sont mariés à Brogliano, commune italienne de la province de Vicence dans la région de Vénétie.
Brogliano est le sommet d’un triangle Vérone-Brogliano-Padoue. Venise est à 95 kms vers l’est et le Lac De Garde à 90 kms vers l’ouest.
Silvia, ma maman (née le 09 avril 1928) est la 5 ème et seule fille d’une fratrie de 6 enfants. Joseph (1920), Gélindo (1921), Angelo (1924), Silvio (1926), Silvia (1928), Gino (1929).
Elle a 4-5 ans quand son père doit quitter, seul, l’Italie pour la France. Ses opinions politiques étaient contraires à celles qui se développaient sur le territoire italien ! Il rejoindra les quelques 800.000 Italiens déjà réfugiés. Giovani fera venir ses 4 garçons aînés en France. Ils m’ont raconté les trains de marchandises ou à bestiaux, le baluchon, du pain, de l’eau et la feuille sur laquelle était inscrite leur destination : Le Got, Dordogne, France. Le « vieux monsieur barbu» qui les attend sur le quai de la gare du Got est leur père… Ils ne le reconnaissent pas. Ils seront tous ouvriers agricoles. On ne peut pas imaginer leurs conditions de travail et de vie (dormir dans le foin dans la grange, pas de sanitaires, ne pas manger à la table des « patrons »… et travailler.) « Porca miseria !» (La traduction de ce juron peut être un gros mot mais on imagine ici la misère du monde tombée sur leurs épaules.)
5 frères et une soeur mariés
Mémé Guglielma, très pieuse, restera seule avec Sylvia (ma mère) et le petit dernier, Gino, né le 09 novembre 1929. Finalement ils rejoindront la famille en France, en 1932-1933. Ils auront eu bien eu assez de temps pour subir la montée et prise de pouvoir fasciste.
Les trains, le baluchon, etc…. Les deux petits derniers devront refaire connaissance avec leur père et leurs grands frères. Maman me disait qu’elle avait eu peur de ce monsieur mal rasé et inconnu qu’il fallait appeler papa.
Maman n’a jamais voulu revenir en Italie, même pour voir la famille restée là-bas. Ses souvenirs tellement « noirs » et la violence exercée sur sa mère, qui travaillait à l’hôpital de Venise, ont rompu à jamais l’amour de sa terre natale. (Sa mère avait été traînée au sol, tirée par les cheveux par les chemises noires ; ils lui ont ensuite arraché ses boucles d’oreilles.) Plus jamais ça !
Je me souviens de la venue d’un oncle et d’une tante qui était la marraine de maman. C’était la fête. Ils avaient « les moyens », ils avaient un appareil photo ! Je revois la photo. Et puis, plus rien. On apprenait par le courrier le décès d’un parent. Il était déjà enterré quand la lettre arrivait.
Mémé Guglielma avait l’habitude de dire « Dio santo » en se signant. Elle invoquait la protection divine… Ça a peut-être marché dans toute cette vie chamboulée… La première question qu’elle nous posait quand nous allions la voir, c’était « êtes-vous allés à la messe dimanche ? » Cette question n’attendait aucune dénégation. Un oui franc et massif la rassurait immédiatement. Papa la faisait rire, je pense qu’il avait trouvé là, « une diplomatie payante ». Elle avait la peau douce mais ne se laissait pas aller aux câlins. Maman m'a dit qu'elle avait toujours été réservée dans ses marques d'affection. On l'aimait beaucoup quand même.
Pépé Giovani était assez renfermé. Il parlait peu. Je crois que c’est Mémé qui tenait les rênes !!! Il ne nous a jamais raconté ce qu’il a vécu. Il avait une énorme moustache, jaunie par le tabac à chiquer. Il faisait pousser ses pieds de tabac, bien cachés dans le jardin. Un jour, il a été dénoncé parce que c’était formellement interdit. Les gendarmes sont venus arracher les pieds de tabac… je pense qu’il a dû en replanter quand même, entre les pieds de maïs. J’ai eu la chance de le connaître jusqu’à mes 16 ans. J’ai été éperdue de chagrin, c’était le premier décès d’un grand-parent. Je les croyais éternels ! De même à la disparition de mon oncle Silvio, toute la famille a été bouleversée. Mourir à 39 ans. Inacceptable.
De Mémé Guglielma, j'ai gardé le goût du "fait main" : des pâtes de toutes formes, de son minestrone incroyablement parfumé et des charcuteries extraordinaires. C'est Pépé Giovani qui faisait toutes ces merveilles de "cochonailles" : jambon, saucisses, saucissons, la pancetta, le lard parfumé, la coppa, etc...
Comment voulez-vous qu'après ça, on accepte la charcuterie industrielle même si elle se donne des noms à consonnance italienne!
La rencontre entre Silvia l’italienne, ma maman, et Jacques (Jaume) le Catalan, mon papa.
Papa est né en Catalogne en 1926 (en Espagne officiellement). Réfugié aussi en France, avec ses parents, ils se sont rencontrés dans la région de Belvès. Il habitait avec ses parents, frères et sœur au Foussal, à Saint Amand de Belvès. Il a été naturalisé Français, en accomplissant son service militaire en 1949-1950. Avec maman, ils se sont mariés le 11 juin 1949. L’Italienne issue d’une famille catholique est devenue Française en épousant un Catalan communiste naturalisé Français ! La consanguinité, connais pas ! Jacqueline, ma sœur aînée est née en mai 1950, pendant le service militaire. Maman a été accueillie dans une famille qui parlait français bien sûr mais ses beaux-parents ne s’exprimaient qu’en catalan ! Moi, je suis née, toujours au Foussal, en 1952.
Cette même année, la famille est venue s’installer à Marnac où mes deux frères, Jean-Jacques et Robert ont complété la fratrie. Quand je dis la famille, je veux dire les grands-parents catalans Fiol, mon père et ma mère et nous, les 2 filles et le frère Jean, son épouse et un fils. En 1956, nous étions treize dans cette ferme.
Mes oncles italiens CHANTAIENT, oui ils chantaient du Bel canto, des chants traditionnels, aux mariages, aux communions, aux fêtes de famille. «O sole mio », "Come prima" mais aussi des chants religieux car ils étaient invités à tous les mariages de la famille bien sûr mais au-delà, pour les messes de Pâques, de Noël, etc.. Un Ave Maria à trois voix, à vous faire pleurer d'émotion. Nous avons eu ma soeur et moi, la chance qu'ils chantent à notre mariage. Oui, on s'est mariées le même jour et au même endroit (Marnac)... avec deux hommes différents, il y a 50 ans!
Et là , on sentait toute l’émotion des racines qui s’exprimaient par la langue et le chant. L'Italie leur sortait de la gorge.
Et pour terminer le « tour de chant », quand Gino, le petit dernier entonnait « La più bella del mondo", traduction : « Maman, tu es la plus belle du monde » en regardant sa mère (notre grand-mère) droit dans les yeux, on pleurait tous.
Pour ma famille, mes enfants et petits-enfants, j’écris ces souvenirs encore bien vivants, afin que l’oubli ne recouvre jamais nos racines.
L’histoire des miens dans la grande Histoire
Rappel historique : Benito Mussoloini (1883 – 1945), prend le pouvoir en 1922 et la dictature se terminera le 25 juillet 1943. »
« Les éléments suivants ont été puisés sur Internet et Wikipédia. Il me semble important de rappeler ici le contexte historique pour comprendre ce que ma famille a vécu.)
Le contexte historique pour savoir ce qu’ils ont vécu
« Les conséquences de la Grande Guerreengendrent une crise de l'immédiat après-guerre en Italie, ce qui crée des conditions favorables à la naissance du fascisme. En effet, même si l'Italie fait partie des vainqueurs de la guerre, elle se considère comme une vaincue de la paix. Ce sentiment se retrouve chez les petits paysans, soumis au pouvoir écrasant des propriétaires de latifundias, qui espéraient obtenir de nouvelles terres. Par conséquent, ce thème de la victoire mutilée est largement exploité par les mouvements nationalistes italiens, en plein essor à la fin de la guerre.
Dans ce contexte de crise économique et sociale, les masses commencent à s'agiter dès 1919. Ces protestations se sont inspirées du modèle de la Révolution bolchevique de 1917 en Russie. Ainsi l'agitation « sauvage » des masses se transforme en actes révolutionnaires dès 1920, année pendant laquelle les mouvements protestataires ouvriers et paysans sont à leur apogée. Cette période de l'Italie est connue sous le nom de « biennio rosso » (littéralement « les deux années rouges »). Mon grand-père Giovani avait 27 ans.
Issu des rangs de l'extrême gauche, Benito Mussolini est dans sa jeunesse anticlérical. En 1919, il se pose en faveur de la svaticanizzazione, c'est-à-dire de la séparation totale de l'Église et de l'État, avec une confiscation complète du patrimoine ecclésiastique. » !!!
Les chemises noires sont restées à jamais le cauchemar de maman
« Les chemises noires (en italien : camicie nere ou squadristi) sont les adhérents à la milice du régime fasciste de Benito Mussolini, organisés depuis le 23 mars 1919 en Faisceaux italiens de combat (Fasci Italiani di Combattimento) (allusion au symbole d'autorité des consuls dans la Rome antique). Mémé Guglielema avait 27 ans.
Ces groupes étaient principalement constitués d'anciens soldats démobilisés, d’ouvriers, de paysans, d’aristocrates, de chômeurs, et de jeunes bourgeois. Ce sont eux qui ont permis l'accession de Mussolini au pouvoir, lors de la Marche sur Rome.
En 1922, lorsque le Duce prend le pouvoir, on dénombrait 700 000 chemises noires, regroupées alors dans le Parti national fasciste.
Les chemises noires employaient des méthodes expéditives (coups de bâtons, incendies…) et faisaient boire de l'huile de ricin aux protestataires. Les chemises noires sont comparables aux SA nazis (chemises brunes). Elles marchent sur la capitale le 28 octobre, menant des actions violentes contre les communistes et les socialistes. Le 30 octobre 1922 , après la marche sur Rome, le roi charge Benito Mussolini de former le nouveau gouvernement. Le chef du fascisme quitte Milan pour devenir Premier ministre à Rome. »
Le fascisme, pourquoi et comment ?
« Le mouvement fasciste s'impose progressivement sur la scène politique face à un État libéral instable et en crise : de 1919 à 1922 quatre gouvernements libéraux se succèdent et aucun ne parvient à faire reculer la force fasciste émergente. L'État libéral (PS et PCI) se délite complètement. Les fascistes seront appeler pour calmer la situation révolutionnaire de l'époque. De plus, Mussolini sait manipuler ce gouvernement libéral affaibli : « tantôt le bâton, tantôt la carotte ». Il fusionne les squadristi et les 320 000 adhérents du PNF (Parti National Fasciste). Son parti s’élargit.
En février 1922, l'État libéral italien ne contrôle plus rien. Le Parti socialiste italien (PSI) a vu ses membres se réduire de moitié après la fondation du Parti communiste italien (PCI) en janvier 1921 lors du Congrès de Livourne : cette scission entre communistes et socialistes affaiblit ces 2 partis. Ces forces politiques, composant l'État libéral, n'ont pas réussi à s'unir en temps voulu pour repousser l'avancée fasciste.
Les erreurs politiques des gouvernements libéraux (PCI-PSI) qui se sont succédé à l'époque, ont permis à Mussolini et ses fasci de se présenter comme l'unique force politique réelle du pays. Ces gouvernements ont laissé les fascistes rétablir l'ordre dans le pays, de même que le roi Victor-Emmanuel III qui est plutôt satisfait de voir quelqu'un régler la situation. La monarchie tout autant que le gouvernement libéral sont marqués tous deux par leur passivité et leur faible résistance face à la montée du fascisme. Par ailleurs, l'État libéral fait aussi l'erreur de vouloir intégrer le fascisme dans le jeu parlementaire, dans le but, finalement voué à l'échec, d'assagir le mouvement. Ainsi, le PSI et la CGL (= Confédération Générale du travail) signent avec Mussolini, le « pacte de pacification » en août 1921, le but étant pour Mussolini de s'appuyer sur des forces politiques pour se faire entendre sur la scène politique et pour les socialistes de maîtriser le mouvement fasciste en essor. Cependant ce pacte n'est pas respecté. Le contrôle du fascisme n'est donc pas possible et les forces du gouvernement, affaiblies, désorganisées, désunies ont trop de difficultés à résister contre le fascisme. »
Accélération du mouvement fasciste (automne 1922)
« L’arrivée au pouvoir de Mussolini ne fait alors plus de doute pour personne, mais la question est de savoir si ce sera par la force ou par la voie légale. À l’automne, le mouvement s’accélère. Le 4 octobre, Mussolini prononce un discours à Milan. Il semble inviter à une prise du pouvoir par la force, mais en même temps, il propose au gouvernement de provoquer des élections. Ainsi, même devant l’accumulation de preuves d’une marche sur Rome en préparation, Mussolini continue d’offrir deux routes possibles. L’historien Max Gallo explique qu’« en gardant l’apparence d’une alternative, Mussolini paralyse ce qui peut rester de résistance dans l’État en même temps qu’il appâte tous les représentants politiques italiens… et jusqu’à Facta. Car les conversations se multiplient en ces premiers jours d’octobre. Chacun espère s’adjoindre Mussolini pour un grand ministère ».
La politique du président du Conseil est qualifiée par l’historien Robert Paris de « faillite ou complicité ». Sous prétexte de neutralité, celui-ci ne prend pas de mesures contre cette montée du fascisme. Pour Mussolini l’idée de marche sur Rome se concrétise. »
La suite nous la connaissons.
« L’Histoire se répète, car personne n’écoutait la première fois. »
Anonyme
Je rends ici hommage à mes oncles qui se sont engagés très tôt dans la Résistance française, à mes grands-parents qui donnaient de la nourriture et planquaient des armes. Ils ont tous participé à la libération du pays qui les avait accueillis.
Aux miens.