La mique de Jean
La mique de Jean
Dans notre famille, c'est Jean, mon éternel fiancé, qui fait la mique. C'est une recette centenaire transmise par sa grand-mère puis son père et à son tour, il organise régulièrement l'atelier mique avec fils et petits-fils.
"A table!"
"La mique… Ah, la mique… Comment dire… La mique est un des plats emblématiques du Périgord. Disons-le tout de suite, sa réputation ne dépasse pas les limites du département. Ou si peu. Parlez des spécialités de la région, on vous citera le foie gras,
la truffe, les cèpes, voire même aujourd’hui le caviar. Jamais la mique. Parce que c’est un secret et même un secret bien gardé. Quand on a un invité de marque étranger à la Dordogne, il ne nous viendrait pas à l’idée de lui faire manger de la mique. On aurait d’ailleurs tord de le faire car il est pratiquement certain qu’il n’aimerait pas ce plat dont on raffole. Il faut être né ici et avoir grandi avec la mique pour l’aimer. Nous en avons fait plusieurs fois l’amère expérience pour en être convaincu : le non-périgourdin n’aime pas la mique. De même on reconnait le niveau d’intégration d’un nouveau venu dans le pays à sa façon de considérer la mique comme un de ses plats favoris. A force de se périgordiser on finit par aimer la mique.
Autre question d’importance, peut-être même la plus importante : de quelle mique parlons-nous ? Car il y a deux sortes de miques… la mique au pain qui se pratique, en gros, en sarladais et la mique levée que l’on trouve sur tout le reste de la planète, mais essentiellement dans le reste du Périgord. En ce qui me concerne, ayant été élevé à Sarlat et Saint Cyprien, je ne parlerai que de la mique au pain. Je ne dis pas que je méprise la mique levée, mais elle ne fait pas partie de ma culture. Je n’en suis pas friand et si je respecte ceux qui la vénèrent, je leur laisse volontiers ma part. J’ai remarqué également que les limites géographiques des deux grandes familles de miques coïncident avec les limites des dialectes occitans Nord-Languedocien et Limousin. Laissons cela aux linguistes patentés et revenons à notre sujet pour aborder une autre question essentielle. Il y a donc deux sortes de miques, mais quelle est la meilleure ? Combien de soirées amicales ne furent-elles pas gâchées par cette question ? Nous devons reconnaitre qu’il y a sur cette affaire deux appréciations irréconciliables et acceptons l’idée que l’on rencontre des ayatollahs dans les deux camps. Tel Moïse sur la Montagne ou Lao Tseu sur les rives du Yang Tsé Kiang, j’ai médité et consacré beaucoup de temps à la recherche de La Vérité. Quelle est la meilleure mique ? Et un jour j’ai trouvé. La meilleure mique est celle de son enfance. La question est tranchée, il n’y a pas à revenir là-dessus.
Dissipons enfin ce qui pourrait être perçu comme un malentendu : je ne suis pas cuisinier. Dans notre famille c’est Gine qui régale. Toutefois il m’arrive de mettre la main à la pâte, notamment pour deux spécialités périgourdines, les pommes de terre sarladaises et la mique. Allez comprendre pourquoi, mon père était affublé de la même épatante malédiction et avait également en charge la « coufinade » et la mique. Ce qui fait, que la rareté faisant l’exception quand je me mets en cuisine pour l’une ou l’autre de ces spécialités l’affaire prend des allures d’évènement. On s’appelle, on se téléphone, on se prévient, on s’alerte, le bruit court… Le Jean va faire la mique ! Et alors, on s’arrange pour être là le jour dit, on fait une pause dans son programme, on bloque la date sur le calendrier, on pose des RTT, on se libère « quoi qu’il en coûte ». Bon d’accord, j’admets que j’exagère, mais j’aime à penser que Jour de mique est Jour de fête.
Après ce préambule un peu long, certes, mais nécessaire, passons aux choses sérieuses. Comment réaliser une bonne mique ?
La mique est une boule à base de pain qui devra être cuite dans un bouillon de soupe de carcasses d’oies ou de canard, ou dans un bouillon de poule ou de pot au feu. Laissons à un - ou une - complice spécialiste le soin de faire le bouillon. Nous ne parlons ici que de la boule. Pour celle-ci il nous faudra, pour 4 à 6 personnes :
- 400 gr de pain rassis, du pain de tourte de préférence que l’on aura frotté généreusement avec de l’ail. Une mique ne s’improvise pas, elle se prévoit longtemps à l’avance. En conséquence on réservera quelques jours en amont du pain qu’on laissera rassir gentiment dans un coin.
- 5 œufs allègrement battus. Choisissez des œufs de ferme, bien jaunes et non pas de ces œufs blanchâtres que l’on trouve parfois – souvent - en grande surface. Nous, nous prenons les œufs de Tonton Robert, mais tout le monde n’a pas un Tonton Robert sous la main.
- Un verre de lait
- 5 cuillerées à soupe de farine de boulanger
- 200 gr de lard blanc
- 2 cuillérées de graisse de canard (soyez généreux avec la graisse de canard, la mique vous en sera reconnaissante)
- 1 sachet de levure chimique.
Découpez votre pain aillé en petits cubes de 2 à 3 cm au maximum et mouillez avec le lait. Il faut ramollir ce pain rassis! Afin de ne pas oublier, pensez à saler et poivrer.
Dans un grand saladier, ou tout autre récipient « qui va bien », saupoudrez le pain de levure puis incorporez vos œufs battus et commencez à pétrir votre boule à la main. Ajoutez votre farine, en la saupoudrant d’un geste léger. Intégrez le lard que vous aurez fait fondre à la poêle ainsi que la graisse de canard. Prenez le temps de bien pétrir votre mique. Cet exercice est un peu fastidieux, mais c’est là que tout ce joue. N’hésitez pas à remettre de la farine pour que la boule se tienne. Attention, on ne fait pas une boule de rampeau ! Cela doit être souple et ferme.
C’est là qu’intervient le truc, l’astuce, la combine, la malice que m’a confié mon regretté ami Jean-Paul Malaurie. Pour s’assurer de la tenue de notre mique dans le bouillon dans lequel vous allez la faire cuire, utilisez plusieurs épaisseurs de film plastique alimentaire dans lequel vous emmailloterez la boule. N’oubliez surtout pas de percer le film de quelques coups de couteau pour éviter qu’elle n’explosât à la cuisson. Ne la serrez pas trop pour que le bouillon puisse la pénétrer à cœur à la cuisson.
Maintenant votre boule ressemble à un petit ballon… «mais pas de rugby malheureux !», même si la tentation est forte ! Les bouts cuiraient plus vite que le centre ! Plongez la mique délicatement dans le grand faitout ou bouillonne déjà votre soupe de carcasse, de pot au feu ou petit salé. Au bout d’une demi-heure vous sortirez votre mique avec mille précautions et avec deux écumoires si possible, afin de retirer le film plastique. Maintenant la boule tient toute seule et vous pouvez la replonger, délicatement toujours, dans le bouillon ou vous la laisserez burbuler un heure de plus. Lorsque vous la sortirez du bendélou, vous la déposerez sur un grand plat entourée des légumes de la soupe. La mique trônera en majesté au milieu des carcasses, des pommes de terre, des carottes, des navets et autres poireaux qui l’accompagneront. La mique se présente entière aux yeux des convives qui saliveront un peu à son apparition sur la table. Attendez vous à ce que quelques « Ohhhh ! Ahhhh ! » s’échappent de leur bouche.
Ensuite elle se découpe en tranches ou en quartiers. Certains n’hésitent pas à la déguster avec de la moutarde ou des cornichons. A mon avis, elle se suffit à elle seule.
Ne pensez pas que la mique soit une recette simple à réaliser. Elle se transmet de génération en génération. Chaque famille y ajoute son secret qui en fera le petit plus qui forge la descendance. Mon père m’a appris la mique « à sa façon ». J’ai transmis ce savoir à mes fils qui le transmettront aux leurs. Bien évidement les filles ne sont pas exclues de dette transmission. Elles s’amusent plutôt de cette spécialité opportunément confiées aux garçons.
Vous l’avez compris, la recette de la mique n'est pas vraiment compliquée mais demande une grande attention, une bonne dose de patience, du temps, la cuisine entièrement à disposition et surtout beaucoup d’affection, voire d’amour, aussi bien pour elle que pour ceux qui sont invités à la partager."
Jean
PS : Merci aux amis (Valéry) qui ont suivi à la lettre ma recette ... je les encourage à donner leur avis pour améliorer ce plat mythique!